La Passoire Du Temps Perdu Testo

Testo La Passoire Du Temps Perdu

Quand j'étais haute comme trois pommes
Ta main râpeuse me rassurait
Tu n'aimais pas beaucoup les hommes
Je crois bien que tu t'en méfiais
La Grande Guerre a gardé ton père
Beau portrait au mur du salon
Tu as dix ans, douleur d'enfer
Et tremble ton petit menton
Tu sais déjà, comme des tas d' gosses
Aux yeux si lourds, sur les photos,
Que l'horrible fée Carabosse
Peut, d'un coup, vous briser le dos

Grand-mère, tu secoues les étoiles
Dans la passoire du temps perdu
C'est leur poussière qui me réveille
Et me dit que tu es venue

Du plus loin que je me souvienne
C'est ma petite main dans la tienne
Mon souvenir le plus rassurant
Ton silence était comme un chant
Toi seule savais les animaux
Apprendre à boire aux petits veaux
Quand la chatte aurait des petits
Pour les poules, la pâtée d'orties
Et pour les petits des humains
Griller de grandes tranches de pain
Faire grésiller le caramel
Du riz au lait, avec la pelle

L'un après l'autre, les chiens sont morts
Tu entendais un peu moins fort
Tu parlais peu, puis plus du tout
Et puis tu mangeais plus beaucoup
Tu t'es couchée dans ta maison
L'hôpital? T'as dit "Pas question!"
T'étais légère comme un moineau
T'avais plus qu' la peau et les os
On voyait bien qu' t' allais passer
Comme disent les gens de la campagne
Qui parlent de la mort sans chiqué
Un matin, t'as rendu les armes

Grand-mère, tu secoues les étoiles
Dans la passoire du temps perdu
C'est leur poussière qui me réveille
Et me dit que tu es venue
Chercher en moi
L'enfant que j'étais

Il ne me reste rien de toi
Un p'tit collier, un vieux drap
Et puis une passoire émaillée
À laquelle je suis attachée
Comme si c'était un vrai bijou
Et qu'au travers de ses p'tits trous
Coulait encore l'eau d'autrefois
Nos secrets, nos éclats de voix

Grand-mère, tu secoues les étoiles
Dans la passoire du temps perdu
C'est leur poussière qui me réveille
Et me dit que tu es venue
Chercher en moi
L'enfant que j'étais autrefois